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Modèle social : assurance ou assistance ? – Les Echos

LE POINT DE VUE 

par Jean-Baptiste BESSON

Revenu universel, renforcement de la prime d’activité, meilleur remboursement des soins dentaires, étatisation de l’assurance-chômage…

Revenu universel, renforcement de la prime d’activité, meilleur remboursement des soins dentaires, étatisation de l’assurance-chômage… La campagne présidentielle est le moment privilégié, sous la Vème République, pour discuter de nos choix collectifs, notamment en matière de protection sociale. Mais l’enjeu de cette onzième élection présidentielle depuis 1958 devrait être celui d’un choix clarifié de notre système de protection sociale. Clarification nécessaire, puisqu’il est d’une complexité kafkaïenne, alliant solidarité et assurance, systèmes « bismarckien » et « beveridgien ». Et parce qu’il est, au final, bien souvent incompris par beaucoup et compris par peu.

C’est en Allemagne, à la fin du XIXe siècle, que le chancelier allemand Bismarck met en place les premières assurances sociales obligatoires, avec l’instauration d’assurances contre les risques relatifs à la maladie (1883), la vieillesse (1884) et les accidents du travail (1889). Ce système de protection sociale repose sur le principe de l’assurance professionnelle : le travailleur cotise sur son salaire à des caisses cogérées par les employeurs et les salariés eux-mêmes.

En 1942, en pleine Seconde Guerre mondiale, sir William Beveridge publie le rapport qui structurera le modèle de protection sociale britannique au lendemain de la guerre. Le système beveridgien repose sur le principe de l’assurance universelle : le citoyen, par l’impôt, finance la protection de tous ceux dans le besoin, confiant aux parlementaires le contrôle d’un système en 3 U : universalité, uniformité et unité, avec un organe unique de gestion (le National Health Service). Le rapport influencera aussi le programme du Conseil national de la Résistance.

Le modèle français a emprunté aux deux sources : la Sécurité sociale, mise en place en 1946, repose sur quatre branches : trois à philosophie assurantielle bismarckienne (maladie, vieillesse, accidents du travail), une à principe universaliste beveridgien (famille). La France a ainsi construit un système de protection sociale sans pour autant en oublier son histoire. La France disposait en effet jusque-là d’un système de protection complet mais optionnel. Avant la Révolution, les corporations proposaient déjà à leurs membres des protections individuelles. Au XIXe siècle, les premières mutuelles se sont constituées pour jouer, cela existe toujours aujourd’hui, un rôle essentiel. L’Etat, enfin, est venu se positionner dans ce jeu complexe depuis la fin du XXe siècle, en renforçant la logique assistancielle, avec l’instauration du RMI devenu RSA, de la prime d’activité, de la CMU, et en contrôlant plus la Sécurité sociale par le vote chaque année de la loi de financement de celle-ci.

Face au risque lié à l’emploi, la France a également mis en place un système dit « assurantiel » depuis 1958 – aujourd’hui Pôle emploi – cogéré par les partenaires sociaux. Un système complété lui aussi par des aides assistancielles, comme l’allocation de solidarité spécifique depuis 1984.

Aujourd’hui, le système de protection sociale français fait face à six enjeux de taille : mutations profondes du marché du travail ; nouvelles conceptions du travail en lui-même, avec l’essor du travail indépendant ; allongement de l’espérance de vie ; demande croissante de protection sociale ; renchérissement du coût des soins ; enjeux de financement. Nous avons donc à trancher un débat essentiel sur notre modèle social : nos protections face aux risques sociaux doivent-elles être désormais une stricte couverture assistancielle, financée par l’impôt (TVA, CSG…), universelle, pour tous mais minimaliste ? Doivent-elles conserver leur caractère assurantiel, collectif et professionnel contrôlé par les partenaires sociaux ? Doivent-elles être de caractère assurantiel, individuel, et gérées par des assurances privées ou des mutuelles ? Il s’agit là d’un véritable choix de société. Ne gâchons pas le moment démocratique qui approche en évitant ce débat essentiel.

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Par Jean-Baptiste BESSON

Consultant indépendant - Fondateur du Cabinet BESSON Conseil depuis 2010