Publié dans Survey Mag – Avril 2018 – Co-écrit avec Linda ATTARI
Les alliances entre les acteurs du secteur digital et ceux de la distribution s’accélèrent. Du cross-canal à l’omnicanalité, les entreprises réalisent à grande vitesse cette fusion des parcours clients physiques et digitaux. Après le rachat par Amazon des supermarchés Whole Foods Market en juin 2017, les alliances conclues par Auchan avec Alibaba et de Carrefour avec Tencent en Chine fin 2017, le chausseur en ligne Spartoo a confirmé en janvier, le rachat à Vivarte de l’enseigne André et ses 175 magasins. Monoprix, l’enseigne de centre-ville, filiale du groupe Casino, qui vient de célébrer ses 85 ans, a annoncé en février avoir ouvert des négociations exclusives en vue du rachat de Sarenza, un « pure player » du Web, devenu l’un des leaders de la vente de chaussures sur Internet, et présent désormais dans plus de 30 pays.
Au-delà de la complémentarité des réseaux, de la diversification de l’offre, l’enjeu est aussi et surtout de comprendre le comportement et le parcours d’achat. Le client est désormais au centre de la stratégie d’entreprise. Et ce d’autant plus que désormais, il est possible de collecter sur tout le parcours de la donnée pour mieux comprendre le besoin, les attentes et l’usage du client. La donnée a d’autant plus de valeur qu’elle offre l’opportunité d’en apprendre plus sur le client à un tel niveau de profondeur et de rapidité qu’il est désormais au centre de la stratégie. C’est ce que l’on appelle la customer-centricity.
Le concept et ses avantages sont étudiés et discutés depuis plus de 50 ans. Pourtant, il a longtemps été difficile pour les nombreuses entreprises d’adopter voire d’appréhender une stratégie entièrement centrée sur le client, en raison d’une culture organisationnelle, d’une structure, de processus peu adaptés à ce nouveau paradigme.
L’enrichissement offert désormais par la data et l’omnicanalité, offre de nouvelles opportunités aux entreprises pour mieux connaître individuellement ses clients et les placer au cœur de l’organisation.
La connaissance client pour les professionnels du marketing repose en effet sur l’exploitation de l’ensemble des données recueillies sur les différents canaux concernant leurs cibles prioritaires. A partir de données collectées, l’entreprise doit faire fructifier cette information majeure pour bâtir des relations durables avec ses clients. [Rosset C., Anta S., Leclercq D., 2009]. Avec l’explosion du commerce en ligne, le parcours client s’est donc enrichi mais aussi complexifié.
Le client et son langage corporel numérique – ou Digital Body Language
Connaitre et comprendre le client, c’est donc désormais aussi décrypter son langage corporel numérique, puisqu’il est désormais Mobile, Social et en Cloud. Il recherche, pilote et évalue lui-même son processus d’achat en ligne. Dans les faits donc, les pratiques ont radicalement changé. Il est donc impératif de décoder son langage corporel numérique.
Le client souhaite tout d’abord de l’interactivité avec sa marque et ses choix. Il est dual : consommateur et acteur de la marque. Cette mutation s’inscrit plus longuement dans un mouvement plus profond d’individuation de l’acte d’achat. Or en donnée marketing, le client est souvent rattaché à un groupe, un panel, un segment, identifié dans un persona. Or, chaque client est unique. Il pense, ressent, agit et souhaite co-agir avec la marque.
Un client est ensuite une personne qui exprime ses besoins, émet des signaux, relate ses désirs. Mais il ne formule pas forcément ses besoins explicits, mais encore, cela va de soi, ses besoins implicites ou cachés. Ce type de besoin doit être modélisé dans une VOC : Voice of Customer. Ce modèle est une interview particulière afin de déceler le besoin exprimé par le client.
Le concept s’appuie sur le modèle de Noriaki Kano (dit Modèle de Kano). Il a mis en évidence trois types de besoin client :
- Le besoin simple ou implicite: sans être forcément exprimé, ce besoin est majeur. En cas de non-compréhension, il peut être source d’insatisfaction client. Lorsqu’un client exprime qu’il « souhaiterait une table design», le besoin implicite repose sur la terme « design ». Elle peut être rectangulaire avec des pieds chromés tout comme elle peut être ronde avec des pieds rectangulaires.
- Le besoin explicite est le premier besoin verbalisé par le client mais sans être forcément entendu. Très souvent, il s’agit de souhaits mal formalisés. Les entreprises doivent impérativement, suivant les préconisations de Kano, mettre en place une organisation en capacité de mieux entendre ces souhaits (Delighters), et ainsi de satisfaire au mieux le client.
- Le besoin différenciant est le besoin caché du client. Il est corrélé avec son besoin explicite. Il est non exprimé spontanément mais souhaité. Il vient compléter le besoin initial du client.
Le langage corporel numérique permet une plus grande compréhension du ou des comportements du client par ses interactions sur le web. L’ensemble des traces laissées par l’internaute dans sa quête d’informations pour un produit ou un service est d’autant plus riche et utile, que sa granularité est fine. Avant même de contacter une entreprise, un vendeur, le client prend le temps de se renseigner sur tous les supports numériques à sa disposition (navigation internet sur ordinateur ou mobile, demande de renseignements, téléchargement de documentations ou livres blancs, commentaire ou like sur le page Facebook…). Nous sommes, tout autant acteurs que clients de l’ADN du numérique. Nous empruntons de multiples vois pour nous connecter ou effectuer nos achats. Nous, en tant que clients, avons besoin d’informations. Pour cela, nous nous connectons à de multiples sources et ce de manière simultanée. Les usages se modifient. La consommation de média se démultiplie et se complexifie. Nous avons besoin d’interagir avec notre marque de prédilection tout en ayant le besoin d’être protégé. En tant que client nous avons besoin d’une écoute active, d’une personnalisation des modes de relation avec l’entreprise (avec le service après-vente d’une enseigne par exemple). Enfin, comme clients, nous sommes désormais polymorphes : clients pour certains produits, mais détracteurs potentiels pour d’autres ; prescripteurs à l’occasion, fidèle et infidèle.
Maîtriser le langage corporel numérique d’un client, c’est pour l’entreprise donc, mesurer le niveau d’engagement du prospect ou client pour être en mesure de répondre le plus rapidement possible à ses besoins. Néanmoins, tout comme dans le comportement dans l’espace physique, le langage corporel numérique révèle une double situation : le consommateur peut tout aussi bien révéler ses intentions sans le savoir ou à l’inverse le faire en en pleine conscience.
La data, au service de la customer-centricity
Nombreuses sont donc les entreprises tous secteurs confondus, qui à travers le monde lancent des initiatives majeures en matière de customer-centricity. Elles ne le formalisent pas toutes de manière identique, mais toutes visent un niveau de performance plus élevé grâce à une meilleure compréhension des clients.
Une vision client à 360 degrés reliant les données de tous les produits et canaux n’est plus suffisante. La vision elle-même doit être inversée. Il s’agit en effet de voir la relation du point de vue du client et opérer dans cette perspective.
Pour renforcer leur avantage comparatif, les entreprises doivent anticiper les besoins des clients, comprendre le contexte de leurs transactions, prendre conscience de ce qui change et diriger vers eux des actions personnalisées à chaque point de contact.
La Data est donc clairement un outil essentiel au service d’une approche customer-centric. Les entreprises ont en effet désormais les moyens de collecter sur tout le parcours et d’analyser des quantités de données beaucoup plus importantes que jamais. Elles sont en capacité d’établir des liens significatifs entre différents types de données. Mais surtout l’analyse des données permet la prise de décision en temps réel. Les technologies à disposition permettent un traitement massif de données et une prédiction algorithmique des comportements.
Cette révolution permet désormais donc aujourd’hui d’envisager et surtout d’appliquer un marketing piloté par la donnée (Data-Driven Marketing). Les entreprises doivent apprendre à initier des conversations significatives avec leurs clients avec des communications personnalisées qui répondent à des intérêts et à des comportements uniques.
Mais des questions demeurent. Puisque les spécialistes du marketing s’appuient sur la data, comment améliorent-ils la fidélisation de la clientèle et les ventes ? En quoi les spécialistes du Data-Driven Marketing ont-ils un avantage sur les acteurs traditionnels ? L’accès à plus d’informations et d’informations est-il source de plus d’opportunités ou de complexité ? Les entreprises disposent-elles des bons outils et des compétences pour répondre à ces nouveaux défis ? Mais surtoutest-ce utile pour atteindre le client ?
La data n’a en effet d’utilité que si elle apporte un nouveau regard et si elle est créatrice de valeur pour le client et l’entreprise.
Pour cela, quatre conditions doivent impérativement être réunies.
- La nécessité d’établir tout d’abord une problématique claire pour pouvoir extraire et traiter systématiquement les informations analytiques les plus précieuses – les relations causales – à partir des données volumineuses. Si ce travail de définition a été correctement réalisé en amont, ces informations permettront de comprendre le comportement et les sensibilités des clients de manière individuelle, d’anticiper les besoins et de prédire les réponses probables aux offres…
- La nécessité d’une supervision humaine si l’on souhaite une data au service du client. Les infrastructures de calcul Data s’appuient sur l’utilisation d’algorithmes d’apprentissage automatique (machine learning). Néanmoins, et c’est une chose essentielle, la supervision par des experts humains est essentielle pour garantir que les résultats soient tout d’abord logiques mais surtout utiles dans la prise de décision. L’interaction Homme-Machine, trouve ici toute sa justification.
- La nécessité de rapidité et de vitesse. Le succès d’une action customer-centric dépend de la rapidité avec laquelle elle peut être déployée de manière opérationnelle.
- La nécessité de rapidement inventer de nouveaux métiers. Sans problématique claire, un jeu de donnée, aussi riche soit-il, peut vite se révéler inutile. Dès lors, la compétence qui permet de trouver une problématique logique ou un enjeu avec un data set, va rapidement devenir clé (fonction de Problématicien). La custumer-centricity oblige aussi à comprendre la psychologie du consommateur. De grands acteurs de la distribution, tels Procter&Gamble ou encore Unilever ont déjà transformé leurs fonctions de Market Research en Consumer Market Knowledge ou Directions de Consumer & Shopper Insight ». Derrière ces changements d’appellations, ce sont surtout de nouveaux métiers qui émergent tels que Consumer & Shopper Insight Manager, Consumer Intelligence Manager ou Market Insight Manager. Sans oublier enfin bien évidement Customer Centricity Manager.