LE POINT DE VUE
de Jean-Baptiste Besson
Dans ces mêmes colonnes en décembre, nous évoquions les principes de la conduite du changement s’inspirant des travaux de John Kotter pour mener à bien les réformes, toujours souhaitées mais malheureusement réduites à néant depuis quarante ans.
Dans ces mêmes colonnes en décembre, nous évoquions les principes de la conduite du changement s’inspirant des travaux de John Kotter pour mener à bien les réformes, toujours souhaitées mais malheureusement réduites à néant depuis quarante ans. La réforme du marché du travail en cours de discussion au Parlement vient une nouvelle fois nous rappeler à notre vieux démon, celui du statu quo. Plus inquiétant encore que la crainte du changement : l’effet boomerang. Si toutes ces volontés de réforme se terminaient aux oubliettes, alors l’immobilisme serait au final un moindre mal. Hélas, la vérité est bien plus attristante. Des négociations initiales au projet de loi, du texte adopté au Par- lement à celui validé par le Conseil constitutionnel, le volet « sécurité » prend à chaque fois le pas sur le volet « flexibilité ». Partant d’une volonté sin- cère d’assouplissement et de simplification, inspirées de la flexisécurité nordique, les principales réformes de ces dernières années se sont surtout conclues en « complexisécurité » pour les PME françaises.
La loi de sécurisation de l’emploi de juin 2013 – issue de l’accord national interprofessionnel signé par les partenaires sociaux au mois de janvier de la même année – avait pour objectif « plus de droits pour les salariés, plus de souplesse pour les entreprises ». Trois ans plus tard, à peine une dizaine d’accords de compétitivité-emploi (renommés « accords de maintien dans l’emploi ») ont été signés et uniquement par de grands groupes. Pour les TPE et PME françaises en revanche, la loi a accouché d’une obligation de prise en charge par les entreprises de la complémentaire santé pour leurs salariés et donc un renchérissement du coût du travail ; d’une obligation de formaliser et de communiquer une base de données économiques et sociales pour toutes les entreprises au-delà de 50 salariés ; d’une taxation complémentaire des CDD ; et d’un encadrement des temps partiels avec une durée minimale de travail de 24 heures.
La loi de janvier 2014 sur la réforme des retraites s’est matériellement tra- duite pour les entreprises par l’obligation de la prise en compte de la pénibilité. Mais la magie administrative française a transformé cette volonté louable en une véritable usine à gaz pour les entreprises et les branches professionnelles.
La loi travail, renommée « Plus de libertés, plus de protections, pour plus d’emplois », dans sa mouture actuelle, pourrait, après des semaines d’ater- moiements, de contestations et de débats clivants, être rebaptisée « Plus de complexité ». Alors que l’objectif initial était de lever les incertitudes et craintes sur l’acte d’embauche, les chefs d’entreprise ont vécu dans l’angoisse ces dernières semaines. Et ils peuvent d’ores et déjà s’attendre à un contrôle accru sur les licenciements économiques et un compte personnel d’activité qui s’annonce comme la prochaine bombe à retardement pour les PME.
Enfin, la réforme de l’impôt sur le revenu avec l’instauration du prélèvement à la source, elle aussi portée par une volonté de simplification, semble prendre une nouvelle fois un chemin tracé d’avance : les entreprises vont être à nouveau mises à contribution. Elles devront prélever l’impôt sur le revenu directement sur le salaire et se mettre en contact avec l’administration fiscale pour connaître le taux d’imposition à appliquer. Une nouvelle source donc d’inquiétude et d’incertitude fiscale. Ces missions vont surtout, au-delà d’une complexité accrue, être de nouvelles sources d’erreurs, et naturellement de redressements fiscaux ou sociaux. Voilà donc de quoi encore refroidir les entreprises, leurs dirigeants, les responsables des services comptables et des ressources humaines.
Les pays nordiques ont inventé la flexisécurité, un modèle à suivre. La France a inventé la « complexisécurité ». Pas sûr que, sur ce modèle-là, nous soyons imités !